Bernadette et le signe de la Croix

« Apprendre à faire le signe de la Croix avec Bernadette » est le thème du pèlerinage national qui s’est déroulé à Lourdes en octobre dernier.

Dans l’expérience de sainte Bernadette, ce signe a en effet une importance particulière. Dès le début des dix-huit apparitions dont elle a bénéficié , la Vierge Marie lui a appris à accomplir ce geste fondamental. Son grand amour pour Jésus s’en est trouvé éclairé, nourri, orienté. C’est ainsi que la vie de Bernadette est devenue un chemin pascal puisque vécue avec Jésus dans le mystère de la Croix. Depuis son baptême jusqu’à sa sépulture, la vie de tout baptisé est placée sous le signe de la Croix.

La Croix, signe du baptisé

La Croix est le signe du chrétien. Il en est marqué dès son entrée dans l’Eglise, avant même d’être baptisé :  c’est le signe que l’on marque sur le front des petits enfants lors de leur accueil dans l’Eglise, c’est aussi par le signe de la Croix que commence le rite d’admission des catéchumènes.

La croix, comme signe appliqué sur les personnes ou les objets s’enracine en fait dans l’Ancien Testament. Le prophète Ezéchiel a vécu à l’époque de la destruction de Jérusalem et de l’exil à Babylone. Pour lui, c’est en raison de ses nombreux péchés qu’est ruiné le royaume de Juda. Au chapitre 9, nous lisons qu’Ezéchiel a la vision d’un homme portant un vêtement de lin qui marque un signe sur le front de ceux qui, dans le peuple, s’affligent des péchés des autres et essayent de vivre dans la justice. Ensuite six autres hommes entrent dans la ville et exterminent tous ceux qui ne sont pas marqués du signe. Ceci pour annoncer la ruine du Royaume, mais qui n’est pas définitive en raison du petit reste qui est sauvé. Cette manière de faire rappelle le signe du sang de l’Agneau Pascal sur les linteaux des portes lorsque le peuple hébreu était en Egypte, au moment de l’Exode. Et c’est par ce signe que les premiers-nés d’Israël avaient été épargnés par l’ange exterminateur.

Or, il se trouve que le terme « signe » en hébreu se dit « taw » or « taw » est aussi la dernière lettre de l’alphabet hébreu… dernière lettre de l’alphabet, ce signe est comme le dernier mot, la signature, ce qui clôt une discussion ou un acte. Bien sûr, il s’agit de la  marque, de la signature de Dieu. Dans la traduction latine on a traduit « taw » par « tau » qui est le nom de la lettre grecque qui correspond à notre « T », en forme de « tau ». Pour un chrétien, on est alors tout près du signe de la croix.

C’est ce que vont comprendre les premiers chrétiens. Tertullien, au II ème siècle écrit en parlant de la vision d’Ezéchiel : « Il s’agit de la lettre grecque « tau », de notre lettre « T » en forme de croix, cette croix dont il annonçait qu’elle serait sur nos fronts dans la Jérusalem véritable et universelle »

Que ce soit pour Ezéchiel ou Tertullien, le signe est toujours fait sur le front. Qu’est-ce que cela signifie ?

Saint Jean, dans son Apocalypse, au chapitre 7, fait allusion au chapitre 9 d’Ezéchiel :

« Et je vis un autre ange montant du côté du soleil levant, ayant  le sceau du Dieu vivant ; et il cria à haute voix aux quatre anges, auxquels il a été donné de nuire à la terre et à la mer, disant : « ne nuisez ni à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, jusquà ce que nous ayons scellé au front les serviteurs de notre Dieu » « (Ap 7, 2-3).  Mais qui sont ces serviteurs de Dieu ? Nous pouvons lire un peu plus loin « et je vis : et voici l’agneau se tenant sur la montagne de Sion, et avec lui les cent quarante-quatre milliers, ayant son nom et le nom de son Père écrits sur leurs fronts » (Ap 14, 1)   et encore, à propos de l’Agneau : « son visage et son nom sera sur leurs fronts » (Ap  22,4)

Ceux qui sont marqués du sceau de Dieu lui appartiennent : ce sont les chrétiens qui sont sauvés du désastre de la fin du monde. En même temps le sceau est une confession de foi puisqu’on y lit le nom de l’Agneau et le nom de son Père et qu’il s’agit d’une croix !

Notre vocation de chrétiens dans le monde est de marquer le plus possible d’hommes du signe du salut afin qu’ils soient sauvés. Nous sommes comme les anges de Dieu, qui, par le baptême, préparent le peuple de Dieu en vue de son Royaume qui vient.

Le signe de croix sur le front est une défense contre les forces des ténèbres, mais il ne s’agit pas de se signer exclusivement sur le front ; d’autres parties du corps peuvent être marquées du signe de la croix. Voici ce que propose le Rituel du baptême des adultes :

«  Que vos oreilles soient marquées de la croix, pour que vous écoutiez la voix du Seigneur !

Que vos yeux soient marqués de la croix, pour que vous voyiez la lumière de Dieu !

Que votre bouche soit marquée de la croix, pour que vous répondiez à la Parole de Dieu !

Que votre cœur soit marqué de la croix, pour que le Christ habite en vous par la foi !

Que vos épaules soient marquées par la croix, pour que vous portiez joyeusement le joug du Christ. »

Le signe de croix s’est étendu sur le visage ou sur le corps (le grand signe de croix apparaît  au 8 ème siècle), il peut s’appliquer à tous nos sens pour les purifier, il peut aussi scander nos moindres actions, tous les temps de la journée. Notons surtout le sens trinitaire : Père, Fils, Esprit, le fait de tracer sur soi le signe de croix veut rappeler l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ et son exaltation. C’est toute l’œuvre du Salut que nous confessons quand nous faisons le signe de croix : c’est un credo en acte, qui est bien la synthèse de notre foi.

Nous pouvons aussi être nous-mêmes signes de croix. Le chrétien qui prie, que ce soit avec les Psaumes ou le Notre Père, par exemple, lorsqu’il étend les mains, trace lui-même le signe de la croix. La Croix, c’est le chrétien qui prie en communion avec le Christ.

En occident latin, nous percevons souvent la Croix de manière doloriste et nous pensons souvent à la vénération de la Croix du Vendredi Saint, mais nous devons nous souvenir qu’il y a la fête de l’exaltation de la Sainte Croix, de la Croix glorieuse, puissance de l’Amour de Dieu. Saint Paul nous dit « le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu »(Ph 2, 6-11).

La Croix exprime le Mystère Pascal du Christ, le cœur de notre foi ; la souffrance de la croix est toute tendue dans l’espérance du Royaume, de la venue du Christ sauveur : « car il s’agit de le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, de devenir semblable à lui dans sa mort afin de parvenir, s’il est possible, à la résurrection d’entre les morts » (Ph 3, 10-11) 

Pour nous souvenir, mieux encore, pour faire mémoire de tout ce que le Seigneur a fait pour nous, l’Eglise nous donne un moyen efficace et facile : le signe de la croix.

L ‘évêque Luc de Tuy nous livre un véritable commentaire du signe de Croix à l’aide de l’hymne de l’Epitre aux Philippiens (Ph 2, 6-11) 

Main sur le front  :

« Lui qui est de condition divine

n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu,

mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur,

devenant semblable aux hommes,

descendant sur la poitrine :

et, par son aspect, il était reconnu comme un homme ;

il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort,

à la mort sur une croix.

Remontant sur l’épaule gauche :

C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé

Et lui a conféré le nom qui est au-dessus de tout nom,

Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse,

dans les cieux, sur la terre et sous la terre,

puis, vers l’épaule droite :

et que toute langue proclame que le Seigneur,

c’est Jésus-Christ à la gloire du Père »

  

Devenue religieuse, Bernadette a été questionnée par une sœur de la Charité  de Nevers : « Que faut-il faire pour être sûre d’aller au Ciel ? « 

Bernadette a répondu aussitôt : « Bien faire le signe de la Croix, c’est déjà beaucoup. »

  

Alors, comment bien faire ce signe de Croix ? Romano Guardini, théologien allemand du XX ème siècle nous l’enseigne…